L'identification des risques comme un exercice d'équilibriste
Piloter ses risques, c’est avant tout les connaître. Comment en effet gouverner l’inconnu. Cependant, en matière de risques, le pilotage a ceci de particulier qu’il concerne quelque chose qui en soi n’existe pas. Ce qui est risqué par nature est incertain, sous-tendu par un ou plusieurs événements probables sans qu’il soit entendu qu’ils se réalisent. Identifier des risques est donc un exercice singulier puisqu’il s’agit de se projeter vers demain afin de décider aujourd’hui de couvrir ce qui n’est pas encore…et qui l’espère-t-on ne sera jamais. Il existe bien des méthodes et des outils pour s’engager dans cette démarche. Ceci pourtant ressemble fort bien à un numéro d’équilibriste tant le risque comme le fil apparaît suspendu au-dessus d’un abîme. En outre, tout système, aussi méthodique soit-il, n’élimine pas les marges d’interprétation lorsqu’il s’alimente d’estimations, de probabilités, de prévisions. Une démarche prédictive est toujours conditionnée à la façon dont présent et passé sont interprétés. L’identification des risques n’échappe à cette règle…
Les biais d'interprétation interférant l'identification des risques
La mise en place d’un dispositif de gestion des risques au sein d’une organisation implique la gouvernance et l’ensemble des collaborateurs. Toute activité est risquée, tout le monde est donc concerné. Ainsi, la gouvernance, au travers du Conseil, détermine un cadre de risques à respecter par l’exécutif, soit la Direction générale. Celle-ci n’étant pas dotée du don d’ubiquité, elle délègue auprès de directions opérationnelles la réalisation des travaux pour atteindre les objectifs stratégiques. Par délégation, toute l’organisation est ainsi concernée par la tolérance aux risques telle que décidée par le Conseil, donc toutes les directions opérationnelles et bien-sûr les collaborateurs qui les composent. Même si la démarche peut être encadrée par une Direction des risques rompue à ce genre d’exercice, la subjectivité demeure, surtout quand le nombre de collaborateurs concernés est élevé. Il est donc impératif que tout manager des risques ait conscience des biais d’interprétation susceptibles d’altérer le recensement des risques inhérents aux activités de son organisation.
Dépasser les biais d'interprétation
Les interprétations sont généralement le fruit du passé. Ainsi, l’identification des risques est conditionnée par les expériences…mais pas seulement. Les principaux biais influant la représentation des événements potentiellement défavorables sont les suivants :
- les limites de l’imagination : on ne pense guère à l’inimaginable, ce qui circonscrit le recensement des risques à ce qu’il est possible d’envisager. Dans le même ordre d’idée, on anticipe sur base de ce que l’on connaît, en extrapolant par exemple une situation existante ;
- la normalité : on envisage ce qui peut être à l’aune de ce qui est habituel, courant, autrement dit normal ;
- le poids des valeurs : les valeurs familiales, sociales, culturelles, orientent le regard sur le monde, donc conditionnent les projections basées sur le réel. Ainsi, les anticipations excluent ce qui contrevient aux convictions intimes ;
- la confiance en soi : la subjectivité qui nourrit les interprétations est fonction de la confiance en soi et vis-à-vis des autres. Autrement dit, une personne disposant d’un capital élevé de confiance imputera moins de risques à son environnement qu’un collaborateur plus défiant ;
- l’asymétrie : les résultats probables sont considérés différemment selon qu’il s’agit d’un gain envisagé ou d’une perte anticipée. En effet, prédisant un gain, on est généralement peu enclin à risquer beaucoup afin de gagner un peu au lieu de rien du tout. A l’inverse, on est prêt à tenter sa chance quitte à perdre plus que de s’assurer un niveau de perte minimale.
Ce recensement des biais n’a pas la prétention d’être exhaustif car l’interprétation est un domaine des plus vastes qui soit, un nouvel infini selon l’expression de Nietzsche. Le manager des risques, tout comme l’auditeur, pourra s’appuyer sur ces quelques références pour évaluer la qualité du processus d’identification des risques.
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