La politique monétaire non conventionnelle ou l'instauration d'un nouveau mode de financement de l'économie

La banque centrale est au cœur du système financier. Elle impulse les mouvements de l’économie monétaire, son action produisant ses effets directement sur les banques commerciales et indirectement sur les marchés financiers. Les taux directeurs qu’elle alloue aux établissements bancaires induit des taux d’intérêts négociés sur le marché interbancaire sur un horizon quotidien, au jour le jour, ou sur une durée de quelques semaines, voire quelques mois. Ces taux dits courts sont censés, dans une situation économique considérée normale, influencer les taux longs, soient les conditions financières pratiquées sur des opérations d’une durée de plusieurs années. Les taux courts sont ainsi échangés entre les banques pour le financement de leurs besoins de liquidités, les taux longs quant à eux s’appliquant sur les crédits octroyés aux acteurs économiques comme les ménages, les entreprises, les administrations publiques, les associations. Les taux d’intérêts à long terme sont donc conditionnés par les taux d’intérêts à court terme. Si ceux-ci sont faibles, les banques peuvent proposer à leur clientèle des niveaux de financement moins onéreux. Si le coût de l’argent par contre augmente, les établissements de crédit consentiront des taux plus élevés. La banque centrale en déterminant l’échelle des taux courts par le biais de ses taux directeurs pilote ainsi la capacité des banques commerciales à faire du crédit et leurs conditions financières.

 

 

Lorsque la corrélation entre taux courts et taux longs fonctionne, la banque centrale pratique une politique monétaire dite conventionnelle, s’agissant pour elle d’ajuster ses taux directeurs pour réguler la masse monétaire en circulation avec pour objectif la stabilité des prix. Seulement corrélation ne signifie pas causalité. L’action de la banque centrale peut être sans effet sur l’économie monétaire lorsque le lien est en quelque sorte rompu entre les taux courts et les taux longs. Cette rupture s’est produite dernièrement avec la crise de 2008. Après que le marché américain du crédit immobilier se soit effondré, entraînant la planète financière dans la tourmente, les banques entre elles ne se sont plus faites confiance. Le marché interbancaire s’est alors asséché brutalement, les banques ne se prêtant plus d’argent entre elles du fait d’une défiance généralisée. La Banque Centrale Européenne (BCE) est alors intervenue de manière non conventionnelle pour régler cette crise bancaire en offrant littéralement des liquidités aux banques commerciales. L’enjeu était de taille puisque sans liquidité interbancaire, le financement de l’économie se tarit. Les projets d’investissement et les besoins de trésorerie des entreprises ne sont plus couverts par des ressources bancaires, la crise financière se transformant alors très rapidement en crise économique. L’action massive de la BCE a permis le retour des échanges interbancaires mais au prix pour celle-ci de taux d’intérêts historiquement bas, voire aujourd’hui négatifs ! Quant à l’activité économique, l’intervention monétaire n’a pas empêché la récession de 2009 et le marasme qui frappe toujours bon nombres de pays européens…

 

 

La politique non conventionnelle de la BCE ne s’est pas arrêtée au seuil de son taux directeur. La confiance qu’elle a permise de restaurer au sein du marché interbancaire n’a pas entraîné l’économie dans un nouveau cycle vertueux. Même si les banques ont pu négocier entre elles de la monnaie à un prix très bas, les taux d’intérêts à long terme qui impactent le financement de l’économie sont restés très élevés jusqu’à la fin des années 2000. L’enchaînement entre taux courts et taux longs n’est donc pas automatique ni systématique. Il peut être troublé par des considérations qui sont du ressort de la confiance des acteurs entre eux. Cette confiance s’exprime d’ailleurs sur un plan financier au travers de la prime de risque, laquelle est la part du taux d’intérêt destiné à couvrir le cas échéant l’insolvabilité du débiteur. Cette prime cependant n’est pas que le produit d’une relation contractuelle. Elle exprime également la projection des  investisseurs vers l’avenir. En cas de crise, le poids macroéconomique est plus conséquent sur la prime de risque puisque l’horizon est plus menaçant. Les taux d’intérêts à long terme sont donc plus élevés, et ceci même si les banques s’échangent entre elles de l’argent à bas prix. Dans un contexte de défiance généralisée, les investisseurs, entreprises et particuliers, ont besoin de plus de sécurité, de garantie. Les seuls taux directeurs ne sont pas toujours suffisants pour créer un nouveau climat de confiance. C’est pour cette raison que la BCE a tenté de créer un électrochoc en déclarant qu’elle soutiendrait toujours l’euro, éloignant ainsi le risque de faillite généralisée du système bancaire. Les marchés financiers ont apprécié cette intention, les investisseurs anticipant alors l’avenir plus sereinement. Les taux d’intérêts à long terme ont diminué. Cette action non conventionnelle de la BCE fût un succès en matière de communication.

 

 

Face à l’atonie de l’investissement, la BCE s’est tournée vers de nouvelles voies dites non conventionnelles. Elle prête désormais gratuitement aux banques commerciales sur des durées plus longues. Depuis juin 2016, les banques européennes peuvent bénéficier d’opérations de refinancement à plus long terme ciblées, dites LTRO II. Elles ont ainsi la possibilité d’emprunter sans charge financière, voire à un taux négatif si elles produisent un certain volume de crédits dans un laps de temps prédéfini. En outre, la BCE s’est engagée dans un plan massif de rachat d’actifs financiers détenus par les établissements bancaires. En effet, les banques commerciales pour la plupart sont propriétaires de titres représentatifs de la dette publique. Autrement dit, les Etats empruntent de l’argent sur les marchés financiers sous la forme de titres, des obligations, lesquelles sont souscrites en grande partie par les établissements bancaires. La BCE en rachetant aisément ces titres permet aux banques de recevoir très vite de la liquidité, donc de disposer de ressources financières à très bas coût pour financer leurs activités de prêts à la clientèle. La BCE se limitait auparavant au rachat d’actifs financiers correspondant à l’endettement public. Depuis peu, elle accepte d’être propriétaire également d’obligations émises par des entreprises.

 

 

Le bilan comptable de la BCE a fortement augmenté depuis qu’elle s’est lancée dans des politiques considérées comme non conventionnelles. Elle concentre de plus en plus d’actifs financiers servant au financement des entités publiques et des entreprises de certaine taille. Même si les banques commerciales sont toujours en contact direct avec les acteurs de l’économie, la BCE est de plus en plus interventionniste au point de devenir le créancier direct de certains agents économiques. La  banque centrale dépasse ici son rôle de régulation de la masse monétaire en circulation. Elle en vient à financer directement l’économie par l’intermédiaire des banques commerciales. A crise exceptionnelle, remède singulier. Mais compte tenu des moyens employés depuis quelque temps par la BCE, peut-on encore dire aujourd’hui qu’elle pratique une politique non conventionnelle, ou alors assiste-t-on à l’instauration d’un nouveau mode de financement de l’économie ?

 

 

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