Bâle 4 contre Bâle 3, ou les Etats-Unis et l'Europe dans un face à face prudentiel

La concurrence n’est pas qu’une histoire de coûts. La compétitivité-prix est certes un levier essentiel pour une économie afin de se positionner au mieux au sein d’un environnement mondialisé. Il n’en existe pas moins d’autres facteurs qui influent sur la capacité concurrentielle des agents économiques. Le cadre réglementaire dans lequel évoluent les entreprises a tout autant son importance que la structure des prix sur un marché donné. Une entité fortement contrainte sur son marché local de toute évidence se trouvera dans de moins bonnes dispositions pour commercer à l’international comparativement à une organisation faiblement exposée à des règles légales. Ainsi, dès l’origine peut exister un biais réglementaire qui induit des déséquilibres dans le jeu concurrentiel. C’est pour cette raison que les réglementations de plus en plus s’internationalisent afin d’établir des corps de règles imputables à tous. Cette internationalisation, même si elle apparaît comme la manifestation du bons sens, n’en est pas moins très difficile à mettre en œuvre. Les règlements en effet ne sont pas qu’une série de textes techniques et normatifs. Ils sont aussi l’expression d’une culture. Le droit est un produit culturel dont le contenu varie selon les territoires et leur histoire. Difficile donc d’harmoniser réglementairement ce qui culturellement et historiquement est si différent. La convergence des règles n’empêche pas les rapports de force de se créer, chaque partie cherchant bien souvent une harmonisation selon ses propres normes. D’où certaines tensions…

 

 

Le secteur bancaire, actuellement, est sous tension. La rédaction des règles prudentielles à mettre en œuvre au niveau international a ouvert des divisions entre les Etats-Unis et l’Europe. Rappelons que les banques sont dans l’obligation de détenir un minimum de fonds propres pour couvrir leurs pertes potentielles. Cette prescription les impacte économiquement, précisément sur deux points. Premièrement, exiger des fonds propres en prévision de pertes futures génère un effet d’éviction. Il s’agit en effet de mobiliser des moyens financiers qui sont autant de ressources en moins pour permettre le développement des activités, voire une croissance externe. Ensuite, l’obligation prudentielle est fonction des risques pris par l’établissement bancaire. Plus ceux-ci sont élevés, plus la part des capitaux propres destinés à les couvrir devra être conséquente. Moins de risques, c’est par contre moins de contrainte, mais aussi moins de perspective de rentabilité. Le couple rendement-risque prend tout son sens avec la réglementation prudentielle. Celle-ci au fil des ans s’est confirmée comme un axe prépondérant de pilotage des activités bancaires par le management. Mais aujourd’hui, elle est surtout au centre de polémiques entre européens et américains.

 

 

Les normes internationales en matière d’exigence de fonds propres sont établies par le Comité de Bâle qui réunit les superviseurs bancaires de 27 pays. La mission de cette instance est de proposer un cadre normatif visant à sécuriser le système bancaire international. Ses propositions sont d’application obligatoire pour les banques qu’une fois transposées en droit. Les premiers accords de Bâle ont été signés en 1988 et recommandaient alors aux établissements assujettis de disposer de fonds propres représentant au moins en valeur 8% des encours de crédits. Depuis, le Comité de Bâle a produit de nouvelles normes. Nous en sommes actuellement aux accords dits Bâle III dont la finalisation crée des dissensions entre les Etats-Unis et l’Europe. Les banques voient leurs exigences de fonds propres sensiblement augmentées avec le dernier projet de recommandations du Comité de Bâle. Serait entre autres remise en question la façon dont les établissements bancaires évaluent leurs risques pour déterminer leurs obligations réglementaires. A ce jour, deux méthodes sont prévues pour cette évaluation. La première repose sur des critères standards, donc applicable selon les mêmes termes par toute la profession. La seconde est plus personnalisable en permettant aux banques la mise en place de modèles internes, donc non partagés, pour mesurer leurs risques. Entre les deux méthodes, la deuxième est plus intéressante pour les établissements financiers puisqu’elle conduit à des exigences de fonds propres moindres que celles déterminés avec des standards. Cet avantage est supposé récompenser une meilleure gestion des risques par la banque lorsque celle-ci se   donne les moyens de noter chacun de ses clients et chacune de ses contreparties avec ses propres modèles. Sauf que le Comité de Bâle, après voir permis et pour ne pas dire encouragé le calcul personnalisé des besoins de fonds propres, semble désormais faire marche arrière dans sa dernière ligne droite pour la finalisation des accords.

 

  

Au vu de ce retournement, nombreuses sont les banques européennes à penser que Bâle III a déjà vécu pour laisser place à Bâle IV. Elles seraient à l’évidence pénalisées par une plus forte standardisation des méthodes d’évaluation des risques, ce qui n’est pas le cas des banques américaines. Celles-ci sont sujettes à une réglementation qui depuis la crise de 2008 est particulièrement exigeante sur les aspects prudentiels. Elles ont moins de latitude pour apprécier leurs risques. Les Etats-Unis verraient donc d’un très bon œil que les établissements bancaires en Europe n’aient plus guère la possibilité d’individualiser le calcul de leurs risques, ceci moins pour des questions de vertu méthodologique que d’enjeu concurrentiel. Exiger plus de fonds propres aux banques européennes renforcerait la position concurrentielle des banquiers américaines sur la scène mondiale. De là à penser que les Etats-Unis ont fait main basse sur le Comité de Bâle, il y a un pas que certains professionnels ont déjà franchi…

 

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