Quand les marchés financiers s'invitent dans la campagne présidentielle de 2017

La théorie financière reconnaît deux fonctions aux marchés financiers : le financement de l’économie et la valorisation des actifs. La première permet aux investisseurs de rencontrer les épargnants et donc de disposer auprès d’eux des ressources nécessaires pour financer leur projet. Les marchés financiers sont ainsi un lieu de rencontre entre des agents économiques dont les besoins sont différents mais néanmoins complémentaires. L’investisseur emprunte de l’argent pour se développer auprès de l’épargnant qui lui cherche à placer ses liquidités afin de les faire fructifier. Les marchés financiers créent une mise en adéquation entre besoins et capacités de financement, de la même façon que cette relation existe avec les banques quand celles-ci transforment les dépôts en crédits. Cependant, les conditions d’exercice du financement de l’économie sont différentes entre les marchés financiers et les établissements de crédit. Le degré d’intermédiation entre les agents économiques est plus élevé s’agissant des banques. On parle même de désintermédiation du système financer pour qualifier l’essor des marchés financiers depuis le début des années 80.

 

 

Il ne suffit pas de permettre aux agents économiques de se rencontrer pour qu’ils s’accordent, encore faut-il créer les conditions de l’échange. Le prix, la liquidité des titres, la sécurité des instruments financiers, appartiennent à ces impératifs qui permettent aux investisseurs et aux épargnants de s’entendre. Les marchés financiers sont l’illustration concrète de la loi développée par la pensée classique et défendue par les néoclassiques à propos de l’offre et de la demande, à savoir que celles-ci se rencontrent sur un marché et s’équilibrent autour d’un prix qui reflète le consensus général entre des intérêts contradictoires. Une entreprise par exemple a besoin d’un million d’euros pour investir dans un nouveau procédé industriel. Au lieu de s’adresser à son banquier pour l’obtention d’un crédit finançant l’achat, elle décide d’émettre des obligations et de proposer ces titres au marché financier. L’entreprise trouvera preneur, c’est-à-dire des investisseurs prêts à souscrire à son emprunt obligataire mais sous certaines conditions, dont la principale porte sur le taux d’intérêt rémunérant les futurs porteurs d’obligations. Le marché financier permet donc à une entreprise et aux épargnants potentiels de s’accorder sur une opération de financement. Cet accord existe à l’initiation de l’opération, mais aussi pendant toute la durée de vie de celle-ci avec la cotation, le cours étant le reflet du prix d’équilibre entre l’offre et la demande s’ajustant régulièrement, voire en temps réel selon les souhaits et les anticipations des agents économiques. La cotation donne donc un prix aux actifs, d’où la seconde fonction dévolue au marché financier concernant la valorisation des instruments financiers.

 

 

Les marchés financiers sont sujets à débat, principalement sur leur présupposée capacité à remplir les deux fonctions précédemment exposées. La littérature économique et financière est nourrie de multiples réponses et propositions sur ce point. La question ici n’est pas de prendre position sur l’efficacité ou non des marchés financiers dans le bon fonctionnement de l’économie, mais de reconnaître que ces derniers ont un impact politique sans parler de troisième fonction. En effet, depuis que les Etats ont capacité à s’endetter en émettant des obligations, la proportion de la dette publique sur les marchés financiers n’a fait que s’accroître ces trois dernières décennies. Les marchés financiers sont désormais un canal principal de financement des dépenses étatiques, devenant par la même occasion un levier d’action politique. Mais tout levier, dès lors qu’il est excessif, se retourne contre ceux qui l’emploient. Il est possible qu’un gouvernement aujourd’hui soit chahuté par les marchés financiers lorsque ceux-ci financent principalement les déficits budgétaires. Ce chahut peut d’ailleurs aller jusqu’à démettre de leurs fonctions des responsables politiques. Souvenons-nous de Berlusconi qui dût démissionner de son poste de chef du Conseil italien, fin 2011, face à la pression des financiers inquiets du devenir de la dette italienne placée sur les bourses…

 

 

L’impact politique des marchés financiers est essentiellement fonction du niveau de spread d’un pays. Le spread est la différence entre le taux d’intérêt sans risque et le taux d’intérêt auquel un agent économique va pouvoir emprunter. Ce différentiel est également désigné comme la prime de risques. Plus l’agent économique souhaitant s’endetter présente un risque élevé de ne pas pouvoir rembourser ce qu’il devra, plus celui qui lui prêtera exigera une prime conséquente en couverture du risque pris, d’où un taux d’intérêts élevé. Un Etat, comme tout emprunteur, est concerné par cette variabilité du spread selon son profil de risques. Ainsi, une gestion calamiteuse du budget public d’un pays se traduisant par des déficits abyssaux renchérit le coût de sa dette. Les charges d’intérêts peuvent même aller jusqu’à représenter le premier poste de dépense d’un Etat, au-delà même des budgets finançant les actions pour lesquels les représentants politiques ont été élus. Dans cette situation, la finance finit par l’emporter sur le politique, les marchés sur la démocratie. Toujours à propos de Berlusconi, ce sont les urnes qui le firent tomber. Ce à quoi la gauche italienne n’est pas parvenue, les marchés financiers l’ont fait : renverser le président du Conseil italien !

 

 

Avec plus de la moitié de sa dette détenue par des investisseurs étrangers, la France est également concernée par l’impact que peuvent avoir les marchés financiers sur la politique. Certes, aucun gouvernement français n’est tombé à ce jour face à la pression des marchés. Mais la tension entre le monde politique et la sphère financière existe. Cette dernière d’ailleurs vient d’entrer dans la campagne présidentielle. En effet, la perspective d’une victoire de Marine Le Pen lors du prochain scrutin, confortée par l’arrivée de Trump au pouvoir et le Brexit, a pour effet de hausser les taux d’intérêts auxquels l’Etat français aujourd’hui emprunte. Cette variation qui génère un écart de spread de plus en plus conséquent entre la France et l’Allemagne semble désormais, comme les sondages, être un baromètre des prochaines présidentielles 2017.

 

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