Bon anniversaire l'euro !

Il est des anniversaires plus discrets que d’autres. Voilà désormais quinze ans que nos portes-monnaies se sont vidés du franc pour recevoir l’euro. Le 1er janvier 2002, plusieurs pays du Vieux continent franchissaient une nouvelle étape du processus d’intégration européenne. Ces Etats acceptaient, avec la monnaie unique, un destin monétaire commun. Ils concrétisaient un peu plus la volonté née après la seconde guerre mondiale de construire un avenir partagé entre anciens belligérants. L’euro a ainsi bouleversé le quotidien de millions d’européens il y a tout juste quinze ans. On ne peut pas dire ce que cet anniversaire ait été particulièrement célébré dans les pays de la zone euro. En étant optimiste, il serait possible de considérer le silence autour de la monnaie unique comme le témoignage de sa parfaite intégration. Après tout, bien souvent on ne parle que des choses qui vont mal, seulement des trains qui arrivent en retard. L’optimisme cependant ne doit pas effacer toute lucidité. L’euro a certainement été accepté bien plus par habitude, donc par la force des choses, que sur base d’une conviction exprimée par la population européenne.

 

 

Les deux faces d’une pièce ne suffisent pas à figurer une monnaie. Celle-ci a plusieurs visages, qu’ils soient économiques, financiers, politiques, culturels, historiques. La monnaie est également au centre de débats, sur des terrains différents. En économie, elle est au cœur d’une opposition fameuse entre les néoclassiques et les keynésiens, à propos de son rôle supposé ou pas dans la marche de l’économie. Les premiers considèrent que la monnaie est neutre, que le niveau de la masse monétaire en circulation n’a aucune influence sur le comportement des individus, c’est-à-dire nous tous. Nos choix économiques seraient déterminés uniquement en comparant le prix des biens et services entre eux, sans tenir compte d’un niveau général des prix. Cette conception a pour conséquence de séparer le monde économique en deux, entre une sphère dite réelle où sont prises les décisions et un champ monétaire sans impact sur les échanges. La pensée keynésienne refuse cette dichotomie.

 

 

Selon les keynésiens, il n’y aurait pas deux mondes, mais un seul dans lequel la monnaie est en mesure de  conditionner le comportement des individus. Keynes considérait en effet que les agents économiques sont « victimes » d’illusion monétaire lorsqu’ils apprécient leur richesse selon la valeur monétaire de ce qu’ils possèdent et reçoivent, comme dans le cas d’une hausse des salaires par exemple, et non en fonction de leur pouvoir d’achat. Cette perception se traduirait ensuite par une progression de la consommation, d’où un impact dans l’économie dite réelle, et cela même si relativement le pouvoir d’achat de l’individu est resté identique avant et après augmentation de son traitement.

 

 

La monnaie ne se limite pas à des questions économiques. Même si le débat n’est pas clos sur sa neutralité dans l’économie, toute prise de position finit par orienter la politique monétaire. En supposant que la monnaie n’a aucun effet sur la sphère réelle, les banques centrales ont alors pour seule ambition de piloter la masse monétaire selon un objectif d’inflation mesurée. Par contre, dire que la monnaie impacte les variables réelles de l’économie tels la production, le salaire, ou encore les taux d’intérêts, est un parti pris justifiant de dépasser l’impératif de contenir le niveau général des prix.

 

 

En matière de politique monétaire, la Banque Centrale Européenne (BCE) a pour objectif d’assurer la stabilité des prix afin de soutenir la croissance économique et la création d’emplois. Statutairement, la BCE s’inscrit plutôt dans l’optique d’une neutralité de la monnaie, considérant que celle-ci ne fait pas la croissance mais la soutient. Sauf que depuis la crise de 2008, la BCE a orienté son action dans un esprit bien plus keynésien que néoclassique, en visant à relancer une économie européenne en berne grâce à l’accroissement des liquidités dans le circuit financier. Force est de constater que cette orientation n’a pas eu pour l’instant le succès escompté. La croissance de la masse monétaire n’a produit que peu d’effet sur la création de richesses. Au mieux a-t-elle a permis à l’Union européenne de s’éloigner d’une spirale déflationniste, ce qui en l’espèce n’est déjà pas si mal…

 

 

En quinze ans d’existence, l’euro en volumes n’a certainement jamais autant circulé dans l’économie qu’aujourd’hui. Pour autant, même si la monnaie unique européenne est plus présente dans les circuits financiers, jamais depuis sa création elle n’a été aussi menacée qu’actuellement. Les attaques dont elle est l’objet sont cependant en dehors du champ économique, se situant sur le terrain politique. Les partis populistes en Europe ont fait de l’euro un bouc-émissaire qui convient très bien au développement et à la diffusion de leurs argumentaires nationalistes. Leur succès aux dernières élections, s’ils se confirmaient lors des prochaines échéances, rendraient de plus en plus incertain l’avenir de l’euro. Ainsi, sur un plan politique on peut aisément affirmer que la monnaie n’a rien de neutre.

 

 

En quinze ans, l’euro s’est intégré dans le paysage économique et financier, en Europe mais aussi dans le reste du monde. Ainsi, on imagine mal comment les pays de la zone euro pourraient décider de retrouver leur monnaie nationale en rompant avec l’euro. Sauf que le manque d’imagination ne suffit pas à écarter les menaces…

 

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