Sur l'urgence d'une comptabilité environnementale

L'environnement exclu des mesures de richesse

Depuis plusieurs années, les façons de mesurer l’économie sont sujettes à débat. Le Produit Intérieur Brut (PIB), considéré conventionnellement comme équivalent à la richesse créée sur une période donnée, est régulièrement remis en question à l’aune des préoccupations environnementales. En effet, la macroéconomie officielle, c’est-à-dire celle qui sert aux décisions de politiques économiques, n’a guère évolué depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La logique productiviste qui prévalait alors à des fins de reconstruction commande toujours les mesures macroéconomiques. La richesse reste déterminée sur base des valeurs ajoutées produites par les agents économiques, selon un paradigme quantitatif faisant abstraction des conditions de réalisation de la croissance. La fonction de production telle qu’enseignée dans les cours de macroéconomie est toujours centrée sur deux facteurs : le capital et le travail. En outre, le partage de la valeur ajoutée est toujours une source de conflits entre deux parties, entre les capitalistes et les travailleurs pour le dire caricaturalement. La nature est certes entrée dans l’économie, mais pour l’instant elle semble rester sur le pas de la porte.

 

Le coût incomplet de la nature dans les calculs économiques

 

Au XVIIème siècle, Descartes recommandait aux hommes de devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Cette prescription philosophique servait avant tout un projet scientifique pour la compréhension des phénomènes naturels. La science a certes profité de la vision de Descartes. Mais la possession de la nature s’est aussi traduite par sa consommation dans les process de production. Le travail et le capital ne servent pas seulement à mettre en œuvre des procédés, à rendre effectif des façons de faire. Leur combinaison vise à transformer des matières dites premières car naturelles, en des produits dits finis puisqu’artificiels. La nature est donc essentielle à la production, comme le sont le travail et le capital. Pourtant, elle n’est considérée sur un plan économique que de façon partielle.  Bien-sûr, le coût des matières premières consommées est déduit de la production pour mesurer la richesse produite. Cependant, cette contribution versée en quelque sorte à la nature n’est pas complète. Une fois encore n’est retenu que l’aspect quantitatif en valorisant seulement les matières employées. La comptabilité des entreprises servant de base pour le calcul des richesses créées n’intègre pas les effets sur l’environnement des activités humaines, au-delà de la seule consommation de ressources et du coût des éventuelles réparations environnementales.

 

Passer de l'extra-financier au financier à propos de l'environnement

 

On aurait tort de penser que rien n’a été fait pour intégrer les enjeux environnementaux dans les mécanismes économiques. Les quotas d’émission de CO2 existent depuis plusieurs années, l’objectif étant de créer un marché avec ce qui à l’origine n’a point de valeur marchande. A ce jour, les résultats de cette internalisation sont minces. Les prix des quotas sont trop faibles pour être dissuasifs et modifier le comportement des agents économiques. En outre, peu d’acteurs sont finalement concernés par ce marché. Quant au reporting extra-financier en matière environnemental, cette autre solution pour intégrer la nature dans les affaires économiques est trop récente pour tirer déjà des conclusions sur le comportement des agents. Sans présager un échec, en comprenant aussi que l’information conditionne la réputation de ceux qui la diffusent, on admettra malgré tout que des données extra-financières ne suffiront guère pour  changer radicalement les modèles économiques. Il faut certainement aller plus loin, comme de passer de l’extra-financier au financier avec la comptabilité.

 

La comptabilité environnementale pour changer les comportements

 

Les réflexions sur une comptabilité « environnementale » ou « verte » ne sont pas neuves. Mais pour le moment, elles sont sans suite. Il faut dire qu’ici la marche à franchir est bien plus haute que celle concernant des obligations de reporting. En effet, pour l’essentiel il serait question de comptabiliser le coût de l’empreinte environnementale laissée par l’entreprise avec sa production. Autrement dit, on viendrait diminuer le résultat en provisionnant l’impact sur la nature des activités économiques. L’application de ce principe comptable obligerait les dirigeants à être plus soucieux des enjeux environnementaux car leur indifférence sur le sujet pénaliserait in fine le rendement des capitaux propres. Au-delà-même de la simple précaution, l’environnement deviendrait un enjeu stratégique, au même titre que les préoccupations commerciales, industrielles, financières. Les revenus du capital seraient alors conditionnés aux efforts faits pour la préservation de l’environnement. Cette condition contraignante serait à l’évidence bien plus forte qu’une mention manuscrite dans un rapport…Seulement nous n’en sommes pas à ce stade aujourd’hui. Pourtant l’urgence environnementale voudrait que le capital naturel ait un poids comptable au moins équivalent à celui du capital technique et humain. Par nature, la comptabilité est conservatrice. Pour la nature, il faut très vite la faire évoluer.

 



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