Jusqu'où ira Donald Trump ?

Donald Trump, tout juste investi de ses fonctions présidentielles, s’emploie à décréter à tout-va sur les mesures emblématiques de son programme électoral. Une fois entré à la Maison-Blanche, le nouveau président a notamment balayé d’un revers de la main huit ans de négociations entre les Etats-Unis et onze pays pour la mise en place d’un accord de libre-échange dans le Pacifique. Le décret  en question met ainsi fin à la stratégie engagée par Barack Obama et qui visait de meilleures conditions de marché entre les Etats-Unis et le Pacifique, ceci pour contrebalancer la puissance chinoise dans la région. Trump a pourtant fait de la Chine un adversaire économique. En rejetant tout accord multilatéral dans le Pacifique, il vient certainement de rendre un grand service à Pékin ! La Chine est d’ores et déjà à la manœuvre pour un nouveau traité cette fois-ci avec elle. Si elle réussit à gagner l’adhésion des anciens partenaires des Etats-Unis, sa domination économique sera encore un peu plus forte dans la région. Merci donc Monsieur Trump ! Le nouveau locataire de la Maison-Blanche est bien décidé à tenir ses promesses de campagne, quoiqu’il en coûte à son pays. Le protectionnisme était au cœur de son projet électoral. A l’évidence, il est le point de départ de sa politique économique. Cette actualité est l’occasion de s’intéresser aux thèses qui préconisent le libre-échange de celles qui recommandent des mesures protectionnistes, puis de s’interroger sur le bien-fondé de la direction entreprise par Donald Trump pour son pays au sein de l’économie mondiale.

 

Le libre-échange consiste à lever les barrières douanières et à minimiser les contraintes non tarifaires entre les Etats pour favoriser le commerce à l’échelle mondiale. Adam Smith, père de la pensée classique au XVIIIe siècle, en fît un de ses thèmes de prédilection. Il théorisa sur les avantages absolus en recommandant que chaque pays concentre ses efforts pour produire les biens pour lesquels il est le plus performant comparativement aux autres Etats. Ainsi, chaque pays se spécialisant se doit de commercer avec le reste du monde pour disposer de ce qu’il ne produit plus, et dans le même temps il fait profiter ses partenaires commerciaux des gains de productivité sur les produits qu’il vend du fait de sa spécialisation. Tout ceci participe finalement au développement de la croissance mondiale et du niveau de vie. La proposition de Smith pose cependant le problème des pays ne disposant d’aucun avantage absolu, se trouvant alors structurellement importateurs car n’ayant rien à vendre au reste du monde. David Ricardo, représentant également de la pensée classique, affine la proposition de son prédécesseur, Adam Smith, en préconisant que chaque Etat se spécialise dans la production de biens la plus performante à son niveau, et non comparativement au reste du monde. Cet énoncé ricardien est plus connu sous la dénomination de théorie des avantages comparatifs.

 

Les penseurs classiques, puis néoclassiques, ont placé le libre-échange au centre de leur modèle économique, de pair avec le marché au cœur de leur pensée. Les thèses libre-échangistes se sont particulièrement concrétisées après la seconde guerre mondiale. La création d’institutions internationales comme le GATT, puis l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), a favorisé le développement des échanges internationaux, appuyé par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale sécurisant l’environnement monétaire planétaire. Les années 70 ont cependant marqué un coup d’arrêt à la progression du commerce mondial, une fois la crise économique émettant ses premiers signaux. C’est ainsi que le protectionnisme est redevenu un projet politique dans certaines démocraties, mais aussi la voie choisie par quelques pays qualifiés d’émergents pour protéger leur économie en devenir.

 

Les idées protectionnistes ne datent pas de la fin des Trente glorieuses. Dès le XVIe siècle, le courant mercantiliste alors dominant reconnait dans les profits réalisés par les marchands une source de richesse pour le Souverain et qu’en conséquence il est nécessaire de les protéger vis-à-vis de l’étranger. L’Etat doit donc intervenir dans ce sens et ainsi permettre l’éclosion d’industrie nationale. Le protectionnisme vient en opposition au libre-échange, privilégiant la création de barrières pour empêcher le plus possible des produits étrangers de pénétrer un marché national. Marx au XIXe siècle reprend également à son compte les thèses protectionnistes. Il s’agit moins pour lui de faire la promotion du protectionnisme que de s’opposer au développement du commerce mondial qui, selon Marx, sert bien plus les intérêts de quelques-uns, les capitalistes en l’occurrence, que ceux de la planète entière, contrairement à ce que pouvaient penser Smith et Ricardo.

 

Faut-il finalement choisir entre l’un ou l’autre des deux camps si on les considère comme définitivement irréconciliables ? Ou bien la nuance est-elle envisageable quant à se déterminer entre le libre-échange ou le protectionnisme ? Plutôt que d’opposer libre-échange et protectionnisme, rien n’interdit d’avoir une approche complémentaire, en autorisant par exemple une économie à se protéger un certain temps, sur tel ou tel secteur d’activités, afin que celle-ci soit prête à s’ouvrir à l’international. N’oublions pas en effet que le commerce mondial n’existe pas durablement sans concurrence, que les opportunités de débouchés à l’étranger n’excluent pas les menaces. La complémentarité entre libre-échange et protectionnisme nécessite cependant une entente solide entre les pays concernés, laquelle n’est possible qu’au travers d’accords librement négociés et consentis entre les participants. Ainsi, la régionalisation du commerce mondial, en créant des blocs de libre-échange réunissant quelques pays, est certainement la voie la plus adaptée pour faciliter les échanges internationaux sans que les économies locales aient trop à souffrir de l’abolition de leurs barrières commerciales.

 

La nuance à l’évidence n’est pas de mise chez Donald Trump. Le président républicain a fait de « l’Amérique d’abord » le leitmotiv de sa politique économique. Les Etats-Unis risquent ainsi de redevenir protectionnistes comme ils l’étaient dans les années 30. Cette perspective est inquiétante pour tous lorsqu’elle concerne la première puissance mondiale. Le libre-échange n’est certes pas la garantie d’une économie plus juste. Il n’en est pas moins le déclencheur d’une coopération entre les Etats. Il vaut toujours mieux commercer ensembles que de s’affronter violemment. Bien-sûr, il n’est pas question de conclure que l’actuel locataire le Maison-Blanche souhaite la guerre, mais sa politique de préférence nationale nous conduit tout droit vers un monde sous tension. Jusqu’où Donald Trump est-il prêt à aller dans ses projets protectionnistes ? Nul ne le sait encore, peut-être pas lui-même. Toujours est-il que même s’il s’est fait le chantre de la démondialisation pour être élu à la Maison-Blanche, Trump n’avait certainement pas anticipé que la contestation à son encontre allait, elle, devenir mondialisée…

 

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